Opération Hawk: le pont aérien d’une guerre oubliée

En janvier 1949, un jeune Québécois quitte sa petite ville natale de la Montérégie pour s’enrôler dans l’Aviation royale canadienne (ARC). Il ne se doutait pas alors que le Canada serait plongé dans une nouvelle guerre et qu’il participerait à l’Opération Hawk.

Dans l’imaginaire collectif canadien, la Guerre de Corée est souvent oubliée malgré la participation de 27000 militaires canadiens à ce conflit. De ce nombre, 516 y perdirent la vie et plus de 1200 en revinrent blessés. De ce contingent, un millier d’aviateurs canadiens furent impliqués. Trop occupée à déployer des escadrons de chasse en Europe pour faire face à la menace soviétique, l’ARC s’abstint de dépêcher des avions de combat en Corée. Une vingtaine de pilotes portant l’uniforme canadien combattirent tout de même dans des unités de chasse de l’USAF dotées d’appareils F-86 Sabre. La plupart des membres de l’ARC impliqués dans ce conflit appartenaient plutôt au 426ème Escadron de transport nouvellement doté de quadrimoteurs Canadair North Star. Ayant complété sa formation, la première affectation opérationnelle du jeune homme fut justement cet  escadron.

Canadair North Star

Dans le cadre des discussions tenues sous la houlette de l’ONU, il fut décidé qu’un escadron d’aéronefs de transport serait la contribution la plus utile des forces aériennes du Canada, puisque la capacité du Military Air Transport Service (MATS) de l’USAF était grandement réduite à ce moment. En effet, après les efforts titanesques consentis au pont aérien de Berlin, une grande partie des aéronefs du MATS étaient immobilisés aux fins d’importants travaux de maintenance. Deux semaines seulement après l’invasion de la Corée du Sud, le 426ème Escadron de transport reçut l’ordre de déployer ses appareils North Star vers la base aérienne McChord dans l’État de Washington. Ainsi commença l’Opération Hawk conçue pour prêter main forte à l’USAF.

Canadair Noth Star / McChord Air Base

Les équipages des North Stars canadiens et ceux des avions de transport américains eurent alors tout un défi à relever, soit mettre en oeuvre le plus long et le plus difficile des ponts aériens jamais tenté. À l’époque, aucun avion de transport n’était en mesure d’effectuer de liaison directe vers la Corée à partir de l’Amérique du Nord. Partant de McChord, les avions effectuaient une première escale de ravitaillement à la base aérienne d’Elmendorf en Alaska, distante 2400km, suivi d’une course de 2500km jusqu’à la base aérienne de Shemya dans les îles Aléoutiennes. Vint ensuite le vol de  3400km jusqu’à Haneda près de Tokyo au Japon. Cette dernière étape était particulièrement difficile. Il fallait veiller à ne pas dévier dans l’espace aérien de l’URSS, une tâche compliquée par les efforts russes pour brouiller les ondes radios et les aides à la navigation. Il n’était pas inhabituel pour les soviétiques d’imiter les contrôleurs aériens américains dans le but de dérouter les aéronefs. Paradoxalement, l’URSS avait bénéficiée d’une aide massive des États-Unis durant la Deuxième Guerre mondiale, notamment par l’envoi de milliers d’avions acheminés par la route aérienne du Nord-Ouest.

Arrivés au Japon, certains avions poursuivaient jusqu’en Corée. Mais la plupart des appareils au long cours repartaient dans le sens inverse pour rapatrier des soldats et effectuer des évacuations sanitaires. Selon la saison, l’avion pouvait revenir par le même itinéraire ou emprunter une route plus au centre du Pacifique. Les étapes étaient alors de Haneda à Wake Island, puis jusqu’à la base aérienne de Hickam à Honolulu. De là, l’avion se rendait à la base aérienne de Travis à San Francisco, puis retournait à McChord.

Canadair North Star / Haneda Air Field

Les tentatives russes d’attirer les avions de transport dans leur espace aérien afin des les intercepter n’était le seul risque encouru. La météo souvent exécrable des Aléoutiennes et le givrage des avions en altitude constituaient les plus grand dangers. Bien des pilotes en avaient fait l’amère expérience lors de la campagne des Aléoutiennes durant la Deuxième Guerre mondiale. En dépit de tous ces risques, un seul North Star fut perdu au cours de l’Opération Hawk. Le 27 décembre 1953, alors qu’il rentrait du Japon, l’un des North Star qui tentait d’atterrir à Shemya sur une piste enneigée au cours d’un blizzard accompagné de forts vents latéraux, a dévié sur la piste et glissé dans un ravin. Bien que l’avion fut  déclaré perte totale, personne n’a été grièvement blessé lors de cet accident.

L’Opération Hawk s’est terminée début juin 1954 lors du retour du dernier North Star à la base d’attache du 426ème Escadron à Dorval au Québec. Le bilan de l’opération fait état 599 vols aller-retour, totalisant 34000 heures de vol, qui ont permis de transporter 13000 personnes et 3500 tonnes de fret. Tant les Canadair North Star que leurs équipages ont fait leurs preuves lors de ce pont aérien hors du commun.

Le jeune homme dont il est question au début de l’article, a par la suite connu une longue carrière, participant notamment à la première mission des Casques bleus au Moyen-Orient, au déploiement de l’ARC en France et en Allemagne de l’Ouest durant la Guerre froide et même à des missions dans l’Arctique canadien dans le cadre des opérations Boxtop. Il fut un acteur de l’évolution technologique de l’ARC, passant  des avions à moteur à pistons hérités de la Deuxième Guerre mondiale, aux appareils turbo-propulsés et aux avions à réaction. À son arrivée, le chasseur de l’ARC était le P-51 Mustang. Lors de son départ à la retraite, le CF-101 Voodoo cédait place au CF-188 Hornet ! Ayant atteint l’âge vénérable de 93 ans, il a choisi l’année du centenaire de l’ARC pour récemment s’envoler vers les étoiles. Bon vol Papa ! Tes vieux frères d’armes t’attendent au Bar de l’escadrille là-haut !


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Marcel
Fils d’un aviateur militaire (il est tombé dedans quand il était petit…) et biologiste qui adore voler en avion de brousse, ce rédacteur du Québec apprécie partager sa passion de l'aéronautique avec la fraternité francophone d’Avions Légendaires.
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Commentaires

10 Responses

  1. Comme disait un grand homme  » jamais tant de gens n ont du a si peu ». Toutes mes condoléances à vous pour vorre papa. Il fait sûrement parti des papas qui ont été des exemples à suivre, des moteurs à pistons pour leur entourages. Bel article et bel hommage. Vous pouvez etre fier de lui, votre article l aurait rendu fier de vous.

  2. Ce très bel hommage à votre père sort de l’ombre une opération aérienne méconnue menée par des hommes d’un courage indiscutable.
    Nul doute qu’au bar de l’escadrille, tout la-haut, là où les héros anonymes côtoient les grands noms de l’histoire de l’aviation militaire, les discussions vont bon train avec une chope de bière en main, une clope au bec et la casquette un peu de travers.
    Un endroit où il fait bon… vivre!
    Ils l’ont mérité car on leur doit beaucoup.

  3. Comment ne pas être fier d’un Papa où d’un grand-père, les deux pour moi qui ont combattus.
    Bel hommage pour votre Papa.

  4. Bonjour,
    très bel article, d’autant plus poignant car il s’agit du plus bel hommage dont puisse rêver un homme, celui de son fils. Je vous présente toutes mes condoléances.

  5. Merci Marcel pour ce récit que je découvre et pensées pour votre papa.
    La guerre de Corée est la plus longue guerre de l’époque moderne et elle n’est pas encore terminée

  6. Comme toujours avec tes articles Marcel le sujet est très intéressant. Mais en plus ici il y a une dimension humaine personnelle qui le rend émouvant. Un très bel hommage rendu à ton père.

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