Depuis la Seconde Guerre mondiale l’US Navy a su cultiver son indépendance vis à vis de l’US Air Force plus que n’importe quelle autre force aéronavale sur la planète. Elle en vient même à disposer de modèles d’aéronefs traditionnellement alloués aux forces aériennes comme les avions de transport ou encore les avions-espions. Dans ce second cas cependant elle ne possède actuellement plus directement d’avions, même si les actuels drones Northrop-Grumman MQ-4C Triton peuvent remplir ce type de mission. Son dernier avion de reconnaissance stratégique a quitté le service voici vingt ans : le Lockheed ES-3 Shadow.
C’est en 1977 que l’avionneur Lockheed proposa à l’US Navy de développer une version de reconnaissance stratégique et d’espionnage aéroportée à partir de son avion de lutte anti-sous-marine S-3A Viking qui venait d’entrer en service trois auparavant. Malgré un programme ambitieux et assez peu onéreux le Pentagone déclina l’offre de l’avionneur, l’aéronavale américaine disposant alors d’une flotte de Douglas EA-3B Skywarrior parfaitement adaptée à ce rôle, et ce même si l’avion en question devenait vieillissant.
Néanmoins douze ans plus tard l’aéronavale américaine décida de faire volte-face, sa flotte d’avions-espions embarqués devenant franchement obsolète. Surtout sur le marché américain aucun autre avionneur ne proposait une telle plateforme, et aux vues de la sensibilité des missions il était hors de question de demander à un constructeur étranger.
Ayant largement anticipé cela les ingénieurs des Skunk Works n’avaient en fait jamais cesser de travailler sur une telle machine, gardant de côté un S-3A désarmé qui leur servait de prototype. Le contrat officiel de développement fut signé en avril 1989 prévoyant la livraison sous deux ans de seize exemplaires de série. L’avion reçut officiellement la désignation de Lockheed ES-3A Shadow.
Extérieurement il se différenciait de son «grand frère» chasseur de sous-marins par l’absence d’armement et surtout par la multitude d’antennes qui le hérissaient sous le fuselage. Au premier coup d’œil il était évident que ce Lockheed ES-3A Shadow était un avion de reconnaissance et non de combat naval. Pour le reste il demeurait très similaire au S-3 Viking avec les mêmes réacteurs à double flux General Electric TF-34-G2 et la même allure générale un peu pataude. L’avionique spécifique de l’avion tournait alors autour d’un radar à ouverture synthétique AN/APS-137, d’un FLIR AN/OR-263, et d’une chaîne de mesures électroniques AN/ALR-76.
C’est dans cette configuration générale que le premier vol eut lieu le 15 mai 1991, soit à peine plus de deux ans après la signature du contrat. Ce vol inaugural aussi rapide avait forcément été rendu possible grâce à l’avion des Skunk Works.
Les premiers exemplaires de série entrèrent en service fin 1991 tandis que le seizième et dernier exemplaire fut accepté au service en mars 1993. Arrivés trop tardivement pour servir durant la guerre du Golfe les équipages de Lockheed ES-3A Shadow se retrouvèrent bien vite devant une impasse : leur avion avait été conçu juste avant l’effondrement de l’Union Soviétique justement pour espionner les positions maritimes de cette dernière. L’US Navy et ses services de renseignement devaient trouver une nouvelle affectation à ces avions.
D’autant qu’à partir de l’été 1993 deux Lockheed ES-3A Shadow étaient en permanence déployés à bord de chaque porte-avions américain. Pour autant cela n’impliquait pas qu’ils aient une mission donnée. En fait rapidement il devint évident que ces biréacteurs ne servaient plus à rien. L’Amérique n’avait alors plus d’ennemi à espionner, ou tout du moins justifiant de continuer à disposer d’avions de reconnaissance stratégique embarqué. Alors les Shadow firent exactement ce pourquoi ils n’avaient pas été conçu : la surveillance maritime et la reconnaissance tactique. Et forcément ils n’étaient pas bons à ce petit jeu.
C’est notamment le cas à l’été 1995 où quatre Lockheed ES-3A Shadow, embarqués à bord des porte-avions USS America et USS Theodore Roosevelt, participent aux raids aériens contre des positions serbes en Bosnie-Herzégovine. Les avions-espions assuraient des missions de reconnaissance avant et après attaques s’assurant de la justesse des tirs des chasseurs-bombardiers McDonnell Douglas F/A-18 Hornet engagés. Mais à aucun moment dans cette série de missions de guerre les ES-3A Shadow ne démontrèrent de réelles capacités pour les missions tactiques.
Un temps l’état-major de l’aéronavale américaine pensa les affecter à des missions de reconnaissance stratégique à partir de bases terrestres. Mais ils se seraient alors retrouver au mieux en concurrence avec les Lockheed EP-3E Aries au pis en redondance avec ceux-ci. C’était alors inconcevable. Finalement début 1998, après seulement cinq années de plein et entier service actif il fut décidé de retirer du service l’ensemble de la flotte des ES-3A Shadow.
Il fut un temps envisagé de transformer ces avions en S-3B Viking mais le programme aurait été bien trop onéreux. De ce fait ils furent envoyés en stockage à Davis Monthan AFB. Bien évidemment le Lockheed ES-3A Shadow ne fut jamais vendu à l’export. Après lui il n’y eut plus d’avion espion embarqué à bord des porte-avions américains.
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