L’aéronautique sera t-elle touchée par l’appel au boycott des produits français ?

C’est une crise plus diplomatique que réellement économique qui se joue aujourd’hui entre d’un côté la France et de l’autre la Turquie et une partie du monde musulman. Après que l’autocrate Erdogan ait décidé de pousser le président Macron dans ses retranchements la Turquie a appelé au boycott des produits naturels et manufacturés d’origine française. Mais cela risque t-il de toucher aussi nos exportations dans le secteur aéronautique ? Essayons d’y voir un peu plus clair dans ce sac de nœuds.

Tout est partie du discours d’Emmanuel Macron lors des obsèques nationales du professeur d’histoire-géo Samuel Paty, lâchement assassiné par un terroriste djihadiste tchétchène. Le Président de la République y a rappelé l’attachement de la France à la liberté de caricature et au droit au blasphème, ce que certains appellent l’esprit Charlie. Et clairement ça n’est pas passé à Ankara et dans quelques capitales de pays musulmans.

L’autocrate turc Reccep T. Erdogan s’en est emparé pour appeler à des mesures de rétorsion économiques contre les intérêts français dans le monde arabo-musulman. Erdogan se rêve en chevalier blanc de l’Islam du 20e siècle et se cherche des ennemis partout autour de lui. Après la Grèce et ses eaux territoriales c’est donc au tour de la France et de sa liberté d’expression. Sans compter que le dirigeant turc a aussi du mal à digérer la vente de Rafale français de seconde main aux Grecs.

Alors Erdogan qui se prend pour un Saladin des temps modernes, le charisme et le panache en moins, appelle à boycotter les produits naturels et manufacturés d’origine française. Et plusieurs pays ont décidé de lui emboiter le pas : Algérie, Koweït, Pakistan, Qatar, Syrie, et Yémen. Dans une moindre mesure le Maroc s’y mêle aussi mais sur la pointe des pieds.
On remarquera que des puissances musulmanes comme l’Égypte, l’Indonésie, ou l’Iran n’ont absolument pas suivi Ankara.

Car c’est bien un appel au boycott et non un embargo qu’Erdogan a décidé. D’ores et déjà des produits alimentaires et cosmétiques d’entreprises très différentes sont impactés par cet appel au boycott. Les groupes agroalimentaires Bel (Babybel, Boursin, La Vache qui rit, ou encore Pompot) et Danone (Actimel, Badoit, Blédina, ou encore Danette) ou encore cosmétiques L’Oréal (Garnier Ultra Doux, Lancôme, Maybelline, ou encore Roger & Gallet) sont parmi les premiers touchés. À différents degrés cependant puisque les marques du secteur du luxe, notamment des groupes L’Oréal et LVMH semblent bien résister.
Les constructeurs automobiles PSA et Renault devraient également accuser le coup mais à un degré bien moindre que l’agroalimentaire et la cosmétique.

Et l’aéronautique donc ?
Eh bien bizarrement le secteur ne devrait quasiment pas être impacté par les gesticulations d’Erdogan. Le contrat Rafale avec le Qatar a été suffisamment sécurisé par Dassault Aviation et ses partenaires pour qu’en cas de désistement cela coûte plus cher à l’émirat qu’à l’avionneur. Idem pour les deux avions-ravitailleurs Airbus DS A330 MRTT achetés en 2018 et dont la signature s’est faite en France. Le groupe européen avait d’ailleurs également blindé le programme de vente des hélicoptères militaires signé la même année.
Le Qatar ne devrait donc pas bouger une oreille sur ce coup là. Retirer des rayons des supermarchés des boites de camembert et des pots de confiture c’est une chose toucher à l’armement en est une autre.

Et le Pakistan et la Turquie dans tous ça ? Puisque ce sont les deux pays les plus vociférants sur les caricatures du prophète Mahomet défendues par Emmanuel Macron on pourrait se demander si leurs prises de positions vont impacter l’aéronautique française. Et la réponse clairement est non ! Le Pakistan utilise bien à titre militaire des aéronefs français mais ce sont d’anciens matériels (Alouette III, Falcon 20, Mirage III, Mirage 5, et Puma) sur lesquels l’industrie aéronautique hexagonale n’intervient plus. Quand à la Turquie la situation est similaire mais avec moins d’aéronefs, principalement des hélicoptères AS.332 Super Puma.
Ni Ankara ni Islamabad ne sont actuellement en négociations ou en contrat d’équipements aéronautiques avec Paris. Forcément ça règle la question.

Le secteur aéronautique commercial, en gros les avions de ligne Airbus et les avions d’affaire Daher-Socata et Dassault Aviation, ne risquent pas non plus grand-chose actuellement car les contrats en question sont en cours de finition industrielle. Là encore les pays adeptes du boycott auraient plus à perdre qu’à gagner en voulant les annuler.

Au final c’est donc bien des gesticulations de la part d’Ankara et de ses alliés (de circonstance) puisqu’il ne s’agit que de boycotts et pas d’un véritable embargo. Surtout cela démontre toutes les limites d’une diplomatie turque aux aboies. En face l’Union Européenne fait bloc derrière la France, menaçant la Turquie de représailles économiques.
Combien de temps Erdogan pourra t-il encore tenir ? Personne ne le sait, pour autant avions et hélicoptères continueront de se vendre et d’être livrés.

Photo © Dylan Agbagni


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

8 Responses

  1. Belle hypocrisie des pays musulmans. Ça appelle au boycott pour de simples dessins mais par contre pour les musulmans ouïghours séquestrés de force dans des camps, là pas d’appels au boycott des produits chinois. On dirait qu’ils préfèrent sanctionner la liberté et la démocratie, à la dictature et la violence. C’est dire le serieux de ces gouvernements. Une belle bande de rigolos lâche.

    1. Bonjour Dimitri essayer s’il vous plait de rester un minimum correct dans ce genre de commentaire. Je comprends votre point de vue et parce que vous n’avez pas l’habitude de ce genre de propos limites hors-sujets je ne vous modère pas.
      D’avance merci pour la prochaine fois.

  2. Merci pour ces infos .Justement je me posais cette question pour les Rafale Qatari.
    Pour l’instant c est le Kiri qui est salement touché…
    sans rire cela prouve que les ventes d’armes peuvent quand même se retourner sur notre tête .
    D’ailleurs en allant dans des extrêmes je pose cette question d’actu-fiction : ordre de mission à un pilote de rafale Qatari de nous attaquer une colonne de vbci au Mali , y a t-il un code source de sécurité rejetant l’ordre ? Est ce que nous avons protégé notre armée?
    Merci

  3. Je pense que les ventes d’armes et de hautes technologies ont peu à craindre de mesures économiques auto-françaises, en revanche Carrefour, la Vache Qui Rit, le Perrier et Danone ont plus de soucis à se faire

    1. En même temps réussir à faire croire aux Turcs et Qataris que La Vache qui rit est un fromage, c’est un exploit au moins aussi extraordinaire que de vendre des Rafale.

      1. Est-il plus difficile de vendre de la Vache Qui Rit que du Salakis aux Turcs?
        Désolé, on dévit un peu de l’aéro mais c’était trop tentant 🙂

  4. Il ne faut surtout pas sous-estimer l’impact de cet embargo sur les produits français, surtout sur les produits de grand luxe. Dans les pays du golf et dans la haute société musulmane, le chic c’est le luxe à la française ! Or cette préférence repose sur beaucoup de subjectivé et risque de subir le militantisme religieux des bonnes familles très croyanteset pratiquantes ! Espérons que cette histoire sera vite oubliée face à la conflagration du Covid qui va déjà laisser de lourdes traces !

    1. Ce n’est absolument pas un embargo !!
      un embargo est un dispositif venant à empêcher la libre circulation de marchandise dans ou à destination d’un pays, souvent via des moyens militaires.
      Aujourd’hui, seuls les USA ont les moyens nécessaires pour mettre en place un embargo.
      Si des pays tiers souhaitent acheter des marchandises françaises, ni la Turquie, ni aucun autre pays au monde excepté les USA, n’est capable de bloquer la transaction et l’acheminement des dites marchandises.
      On est ici en présence d’un « simple » boycott qui n’aura aucun effet pour l’économie française.
      C’est surtout de la communication…

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