La Russie tente t-elle de profiter des incendies en Grèce pour vendre son Beriev Be-200 ?

La manœuvre semble un peu grossière, pourtant elle n’a pas l’air de déranger grand-monde à Moscou. Depuis le milieu de la semaine dernière le ministère russe des situations d’urgence a déployé en Grèce un avion bombardier d’eau Beriev Be-200. Belle marque de solidarité envers ce pays du bassin méditerranéen, sauf que de plus en plus de voyants s’allument désormais en direction d’une possible mission de représentation afin de forcer la main des autorités locales autour d’un achat de la machine. Essayons d’y voir un peu plus clair et de décrypter tout cela.

La Grèce brûle. Chaque été ou presque ce pays connait des feux de broussailles et de forêts de plus en plus réguliers et violents. Ils sont dévastateurs. Et chaque année Athènes demande l’aide de ses voisins et alliés européens. Croates, Français, et Italiens sont généralement les premiers à répondre présents. C’est logique. Néanmoins cette année un petit nouveau est entrée dans la danse : la Russie.

À la différence de la Turquie voisine la Grèce possède à la fois une véritable flotte aérienne de bombardiers d’eau mais aussi une très grande connaissance de la guerre aérienne contre les flammes. Son expertise est reconnue dans tout le bassin méditerranéen, et même parfois au-delà. Sa force aérienne aligne des bombardiers moyens Canadair CL-215 et Bombardier CL-415 ainsi que des bombardiers légers PZL M-18 Dromader.
Son armée est également formée à cette mission au travers des pilotes d’avions légers Cessna U-17A Skywagon spécialisés dans la reconnaissance et le commandement aéroporté de l’avant ou encore dans ses pilotes d’hélicoptères lourds Boeing Vertol CH-47C/D Chinook habilités pour la plus part à l’emploi du Bambi bucket.
Dans le même temps il n’est pas rare qu’à d’autres échelons des hélicoptères privés soient loués pour ce genre de mission.
Pour autant le besoin en bombardiers lourds est de plus en plus pressant chaque année, et ce malgré des finances grecques toujours en bernes.

Et c’est justement là que mercredi 28 juillet 2021 la Russie entre en jeu. Elle propose à la Grèce de lui prêter un Beriev Be-200 avec deux équipages complets et plusieurs mécanos. L’ambassade russe à Athènes se chargera des interprètes. Forcément les Grecs acceptent, l’amphibie biréacteur russe est aujourd’hui un des meilleurs appareils au monde pour la lutte anti-feux. Il y arrive dans la soirée même.
Très vite l’avion et ses équipages se mettent au services des forces de secours grecques. Et ils ne vont pas chômer. Si bien que très vite une sorte de guéguerre médiatique s’est enclenchée entre les deux capitales.

Médias grecs et russes se renvoient donc la balle depuis quelques heures dorénavant. Les premiers accusent la Russie de forcer la main vers une location longue durée voire une vente de deux ou trois Beriev Be-200 quand les seconds balancent une série de chiffres et de données difficilement vérifiables.
Si on en croit le ministère russe des situations d’urgence le Be 200 aurait d’ores et déjà réalisé des missions sur trente-six incendies différents représentant un total de cent heures de vol. Selon l’aviation civile grecque jusque là tout est exact. Ce sont les chiffres suivants qui sont plus compliqués à démontrer. Moscou annonce que le biréacteur aurait totalisé quatre cents frappes ciblées pour un total de 2500 tonnes d’eau larguées. Ça représente un peu plus de six tonnes par largage et c’est cohérent avec les données connues de l’avion. Sauf que sur le terrain les secouristes grecs disent n’avoir quasiment jamais remarqués de bombardements par l’avion russe.
Les journaux grecs expliquent en substance que l’avion est bien là, quasi omniprésent même sur les gros feux les plus médiatisés, mais que ses largages ne sont que très ponctuels. Certains avancent même que son efficacité serait marginale.

On le sait le Beriev Be-200 peine à se vendre. Il est considéré comme trop onéreux, et affronte surtout l’omniprésence du Lockheed C-130 Hercules et d’avions plus petits comme le Bombardier Dash 8. Surtout sa motorisation le rend plus difficile à employer dans des conditions très dégradées.
Il est certain que pour la Russie le vendre à la Grèce, pays à la fois membre de l’Union Européenne et de l’OTAN, serait un vrai plus en matière commerciale. D’autant qu’il se dit de plus en plus que Moscou pourrait être tenté de le brader pour y arriver. Sauf que le Be 200 se traine des casseroles. On le dit peu fiable en terme de motorisation et peu sûr en vol. Ce qui explique que malgré le forcing de Moscou il demeure toujours aussi difficile à exporter.

Alors qui des médias grecs et russes a raison sur cette affaire ? Sans doute un peu des deux. Bien sûr l’avion n’est pas là que par solidarité, ce concept d’ailleurs est quasi absent de la société russe contemporaine. Il combat les flammes bien sûr mais surtout il se place auprès d’un client potentiel. Dans le même temps beaucoup de grecs voient d’un mauvais œil la présence de cet avion russe. Pour eux Moscou est toujours considéré comme un allié objectif d’Ankara, donc de l’ennemi !
Au final donc la présence de cet avion de lutte anti-feux demeure actuellement encore un épiphénomène. Cela pourrait changer si Athènes décidait de mettre la main au porte-monnaie.

Photo © Keypublishing.

 

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

13 réponses

  1. Oui mais bon le Be-200 a quand même l’avantage de pouvoir écoper à la différence d’un hercule ou d’un Dash 8. C’est quand même un énorme gain de temps, à condition évidemment qu’il y ai un plan d’eau à proximité. Ce qui est le cas en Grèce où la mer n’est jamais très loin.
    A part les problèmes techniques le gros souci de cet avion c’est qu’il est russe, ce qui en ferait un nouvel outil de pression. En cas de sérieuses brouilles diplomatiques, et avec les russes on y est jamais loin, les mécanos grecs devraient attendre 1 an avant de recevoir leurs pièces de rechange. Les avions auraient un taux de disponibilité médiocre. S’il était occidental je suis sûr que cette machine se serait déjà vendu même en France.

    1. Bien sûr que la dimension diplomatique est très forte dans l’échec commercial du Be-200. Fondamentalement ça semble rester un excellent bombardier d’eau. Moscou paye là sans doute ses aventures hasardeuses à droite à gauche tout autant que son laxisme légendaire en matière de sécurité aérienne.

  2. Il serait peut-être temps que les pays européens du sud Portugal, Espagne, Italie, Grèce, France et autres qui sont très impactés par les feux de forêt envisagent sérieusement l’achat d’un bombardier d’eau en commun. Le Canadair 515 conviendrait parfaitement me semble-t-il. Il faudra bien remplacer les Canadair en service qui commencent à vieillir. Et là pas de problèmes diplomatiques, et possibilités de mutualiser l’emploi des appareils. Avez-vous des informations récentes sur le Canadair 515?

    1. Il existe un dispositif européen (rescUE) comprenant des avions et des HBE, notamment des dash 8 il me semble, qui permet un déploiement de renfort rapide.

    2. Aux dernières nouvelles, le constructeur était toujours en attente d’une décision européenne avant de lancer la production d’appareils Canadair 515. Rappelons que l’Indonésie a déjà passé commande pour une demie-douzaine d’exemplaires de cette nouvelle génération davion.

      1. La France, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la Grèce feraient mieux de se mettre d’accord entre eux et de passer une commande groupée. Ca ira plus vite et ça coutera moins cher.

        1. Au vu des augmentations de température et donc du nombre de feu de forêt à prévoir les 50 prochaines années, nous devrions passer au minimum à un avion d’une catégorie supérieur: le ShinMaywa US-2 largue 15 tonnes d’eau mais il peut faire dû secoure en mer et transporter jusqu’à 38 personnes!

  3. @ Arnaud

    Bonjour Arnaud, dans ces situations d’aide d’un pays à un autre savez vous si des accords sont conclus quand aux coûts des opérations ?

    1. Bonjour, cela dépend de plusieurs facteurs différents comme les éventuels accords internationaux.

    2. Il y a le dispositif européen rescEU. Un mécanisme de protection civile de l’Union européenne et au delà. Grâce à ce mécanisme, la commission européenne prend en charge au moins 75 % des coûts liés au transport et/ou aux opérations de déploiement.

  4. Bonjour Arnaud,
    Votre russophobie latente vous joue des tours.
    Pensez-vous vraiment que seul la Russie essaye de vendre ses avions?
    C’est juste un joli coup de pub pour cet avion.
    Plus sérieusement,
    compte tenu que les incendies semblent de plus en plus forts,
    ne faudrait il pas étudier un Canadair quadrimoteur écopant 12T …… ou acheter des l’ISU 2 japonais disponibles ?

    1. Le procès d’intention en russophobie, ça faisait longtemps ça tient ! L’argument de ceux qui n’en ont pas, au moins ça aura eu le mérite Le Parisien de dévoiler qui vous êtes.

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