Le Dassault Aviation Rafale F4 va t-il échouer en Arabie Saoudite ?

Il semble bien que le coup de poker des Saoudiens ait porté ses fruits. Ce dimanche 7 janvier 2024 au soir la cheffe de la diplomatie allemande a fait savoir que Berlin ne s’opposait plus à la vente de 54 chasseurs multi-rôles Eurofighter EF-2000 Typhoon au standard Tranche 4. Afin de faire plier l’Allemagne l’Arabie Saoudite avait annoncé son intention d’acquérir le même nombre de Dassault Aviation Rafale F4, le grand concurrent français de l’avion européen ! C’est l’actuelle insécurité dans la région du Golfe autour des milices Houthis qui semble avoir fait infléchir la position du gouvernement Scholz.

Pour mémoire rappelons que c’est à l’été dernier que le ministère allemand des affaires étrangères avait indiqué apposer un véto à la demande des Britanniques et des Italiens d’exporter 54 Typhoon Tranche 4 vers la Royal Saudi Air Force. Le choix des Saoudiens d’acheter cet avion pour remplacer leurs vieux Panavia Tornado IDS était pourtant parfaitement logique la RSAF étant le principal client étranger du chasseur européen. Soixante-douze Typhoon volent déjà sous marquages saoudiens. Pour autant l’assassinat du journaliste saoudien d’investigation Jamal Khashoggi en octobre 2018 dans les locaux du consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul avait jeté un froid sur les relations diplomatiques entre Ryad et la majorité des chancelleries européennes. Berlin n’y faisait évidemment pas exception. Le gouvernement Scholz avait alors fait du véto à la vente des 54 Typhoon une affaire de principes.

Sauf qu’en matière de diplomatie autant que de marché de l’armement les « grands principes » sont souvent assez fluctuants. Philosophie politique, cours de première année. Et c’est d’ailleurs le fait que la Royal Saudi Air Force emploie ses actuels Typhoon pour intercepter les drones et munitions rodeuses tirés par les Houthis contre Israël qui a fait pencher la balance allemande. Le puissant royaume du Golfe est revenu dans les bonnes grâces de la première puissance économique d’Europe. Selon les mots mêmes d’Annalena Baerbock, ministre allemande des affaires étrangères, ce véto n’a plus de raison d’être.

Mais alors si l’Allemagne autorise la vente des 54 Typhoon Tranche 4 que va devenir Dassault Aviation à qui les Saoudiens avaient fait miroiter une exportation du même nombre de Rafale F4 ? Bah le dindon de la farce. On peut dire ce que l’on veut, que le Rafale F4 est bien plus polyvalent que le Typhoon Tranche 4, que l’avion français a fait ses preuves aussi bien en Irak / Syrie que dans le Sahel sur les missions air-sol et celles de reconnaissance ou encore en Baltique en police du ciel ; le résultat sera le même. L’Arabie Saoudite voulait un levier, un moyen de pression diplomatique, pour faire infléchir l’Allemagne. La France et l’avionneur clodoaldien passaient par là, ils ont parfaitement fait l’affaire. Ça c’est si on regarde les négociations franco-saoudiennes par le seul bout de la lorgnette, c’est à dire par la seule année 2023.

Parce qu’en réalité la Royal Saudi Air Force tourne autour du chasseur biréacteur de Dassault Aviation depuis un peu plus longtemps. Et même si Paris a en son temps condamner l’assassinat de Jamal Khashoggi les relations franco-saoudiennes se sont bien vite réchauffées. Emmanuel Macron s’en est assuré auprès de MBS, le prince héritier Mohammed ben Salmane. À notre connaissance cela fait presque deux ans que des négociations ont été lancées autour du Rafale et celle-ci se sont notablement accélérées peu avant Noël 2022. Tout porte désormais à croire qu’elles avaient lieu indépendamment de celles que Ryad menait avec les Britanniques et les Italiens autour du Typhoon Tranche 4. Donc au final il n’est pas impossible que Dassault Aviation tire tout de même son épingle du jeu dans le Golfe avec son Rafale F4. Rappelons que dans la région le Qatar l’utilise déjà et les Émirats Arabes Unis possèderont bientôt leurs premiers exemplaires. Voilà qui doit sans doute donner à réfléchir aux généraux saoudiens.

Affaire donc à suivre.

Photo © Armée de l’Air et de l’Espace.


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

21 Responses

  1. Effectivement, derrière ce revirement allemand, montrant au passage une nouvelle fois l’absence de fiabilité de la parole du pays, un jeu à plusieurs bandes se joue. Les saoudiens vont acheter les Typhoon T4 pour rationaliser leur flotte à court terme. Il n’en reste pas moins que cet avion vieillissant et en bout d’evolution ne peut plus constituer une alternative d’avenir. La stratégie du Rafale F4 ou mieux du F5 est de se positionner comme solution de renouvellement complet. Le Tempest sera son adversaire, plus que le très hypothétique Scaf et que le F35 problématique par son origine.

    1. Vous enterrez un peu vite le futur Typhoon Tranche 5. Même chez Dassault Aviation ils s’en méfient. Quand au SCAF il est ici hors sujet.

      1. Je ne sais pas pour quand est prévue la tranche 5, mais les chaines de montage tiendront-elles jusque là sans commande export?

        1. La Tranche 5 est conçu avant tout pour l’Aeronautica Militare, la Luftwaffe, et la Royal Air Force. L’Ejercito del Aire y del Espacio doit se prononcer cette année à son sujet. Les commandes exports seront donc servies ensuite.

  2. La bonne question à se poser est de savoir si Dassault à les moyens d’honorer cette commande, si tant est que l’Arabie nous accorde sa magnificence.

  3. et voilà, le retournement de situation inattendu où tout le monde (ou presque) s’y attendait!
    bref, j’entend encore les exemplaires pro-diplomatie allemands, ceux qui nous faisaient il y a quelques mois un gros sermon sur le comportement des méchants français qui vendent leur âme et leurs armes aux méchants saoudiens…
    bref, le ridicule ne tue pas dans les affaires d’armement et en diplomatie, même chez nos moralisateurs voisins.
    Effectivement, pas sûr que celà condamne définitivement toute vente de rafale en arabie saoudite. Quand on sait qu’un « petit » pays comme les EAU vont en avoir 80, les saoudiens pourraient tout à fait avoir l’envie (le besoin?) d’en commander quelques dizaines à leur tour grâce à leurs moyens financiers immenses. Surtout que c’est toujours intéressant diplomatiquement pour les pays du golfe de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. L’exemple parfait c’est le Qatar qui a acheté US, français et Eurofighter.

  4. Avec les interviews d’Éric Trappier sur ce sujet, on sentait que Dassault ne se faisait pas beaucoup d’illusion.

  5. Je ne pense pas que l’on puisse élaborer un instrument de souveraineté nationale qui serait soumis aux aléas de coalition gouvernementale. Faire pression pour le F35, pourquoi pas, pour l’EF 2000.

    Je suis saoudien, je me dis que sans le 7 octobre, l’Allemagne campait sur ses positions.

    1. Un « instrument de souveraineté nationale » ? Je ne suis pas sûr qu’un quelconque décideur institutionnel français ou même que les gens de chez Dassault Aviation aient une seule fois considéré le Rafale comme cela.

  6. Bonsoir, tous mes meilleurs vœux pour cette nouvelle, moi je croise les doigts pour le rafale !!! Bizarrement il n’y a plus de problème pour vendre de l’ EF 2000 « 

  7. Dans les années 80 ils se sont intéressés au Mirage 2000 et 4000 pour acheter du Tornado. Dans les années 2000, au Rafale une première fois pour prendre le Typhoon. Espérons que l’avenir ne suive pas l’adage jamais deux sans trois.

  8. Bonjour,
    Outre le fait que, comme l’indique l’article, les saoudiens tournent autour du Rafale depuis plusieurs années, il y a un fait qui peut rendre (un peu, faut pas exagérer et trop prendre ses désirs pour des réalités) optimiste.
    Concrètement la position allemande sur ce dossier peut se résumer, selon les coalitions gouvernementales, de la manière suivante : oui je te vends, non je ne vends plus car une de tes actions m’a déplu, oui finalement je te vends…
    Pour ce qui est de la fiabilité, on fait mieux. D’autant qu’entre le moment de la levée du veto allemand et la livraison des premiers avions, puis leur entretien et la fourniture de leurs armements (pendant 20 ou 30 ans), les coalitions gouvernementales peuvent encore changer, et rien ne dit que les saoudiens ont envie de se voir dicter leur politique étrangère par un fournisseur d’armement.
    A méditer également pour tous les futurs prospects du Typhoon, et éventuellement du futur SCAF…
    Donc bonne chance au Rafale, il est un peu tôt pour considérer que tout est perdu sur ce dossier.

  9. Reste à voir comment les saoudiens réagiront parce qu’ils passent quand même pour quantité négligeable dans cette affaire ce qui ne doit pas leur plaire. Viendra ensuite le dossier turc. En rompant le pacte qui stipulait qu’aucun des 4 partenaires ne pouvait s’opposer à une vente faite par un autre membre du consortium les allemands se sont mis dans une position hyper inconfortable vis à vis de leurs clients et de leurs partenaires. Comment se créer des problèmes qui n’existaient pas pour finalement la jouer petit boutiquier.

  10. En fait, la question est de savoir jusqu’où sont allées les négociations avec l’Arabie Saoudite et seul M. Trappier a toutes les informations. Il ne faut pas oublier que les Saoudiens ont formellement demandé un devis et c’était plus que pour seulement mettre la pression sur Berlin . Oui, les Saoudiens s’intéressent vraiment au Rafale et eux-mêmes ont financé les Egyptiens. Toutes proportions gardées, cela me faut penser à Neymar durant l’été 2017 avec le PSG et beaucoup disaient que c’était un coup de bluff pour arracher un contrat plus lucratif avec le FC Barcelone. Mais là, les négociations étaient allées trop loin avec le PSG…

    1. Le parallèle entre une vente d’avions de combat et les joueurs de baballes, perso je l’aurais pas tenté.

  11. Oui Arnaud la comparaison est juste pour illustrer le niveau réel de négociation et il y a baucoup de psychologie. Je sais bien que la comparaison avec le foot peut surprendre mais quand une équipe veut un joueur A elle va s’intéresser au joueur B pour essayer de faire baisser le prix de A. En 2017, Beaucoup disaient que Neymar ne signerait jamais en France mais là les négociations étaient allées trop loin… Après, Dassault n’est pas dupe et avait par exemple refusé l’intérêt supposé il y a quelques années du Japon pour le Rafale. Ce que je veux juste dire c’est qu’à un moment quand les négociations vont (très) loin, si cela ne marche pas c’est qu’il n’y a pas eu un terrain d’entente mais la volonté de signer était réelle. Tandis que d’autres vont dire que Dassault aura juste servi de lièvre. Mais comme Ingo dit: comment va réagir l’Arabie Saoudite? Cela ma fait penser aux EAU et le F-35 et Israël qui voulait imposer des conditions (et je comprend la réaction des EAU dont on oubliait que c’était l’acheteur). Mais comme vous dites Arnaud: les Saoudiens s’intéressent au Rafale (et leur ministre de la défense a vu Lecornu et Trappier il y a quelques jours). Et si les Saoudiens signent pour le Typhoon je pense qu’ils passeront peut-être pour des pros de la négociation mais pour les futurs contrats les fournisseurs y réfléchiront à 2 fois avant d’envoyer des propositions.

    1. Sauf que l’Arabie Saoudite est une chasse gardée anglo-americaine en matière d’avion de combat. Dassault le sait mais il y avait une opportunité de faire l’article aux saoudiens. Ensuite, je ne serais pas surpris qu’ils aient fait une proposition très agressive pour avoir une chance. Au pire, ça va mettre l’eurofighter dans une position inconfortable car à la base les britanniques comptaient gagner de l’argent sur le contrat.

    2. « Après, Dassault n’est pas dupe et avait par exemple refusé l’intérêt supposé il y a quelques années du Japon pour le Rafale »
      Pourtant la collaboration entre la France et le Japon dans l’aéronautique militaire a été une réalité, la naissance de l’armée de l’air impériale du Japon en 1919 c’était avec le concours direct de notre armée de l’air et avec nos avions, des Spad XIII et Nieuport 24.
      Le manque de soutien politique du côté français a eu raison de cette collaboration naissante (https://www.persee.fr/doc/rharm_0035-3299_2004_num_236_3_5632) … Puis la constitution de l’Axe, et l’invasion japonaise en indochine française en 1940 ont sonné le glas pour toute coopération pendant des décennies.

      Fin du HS et bonne année à tous.

  12. Est ce que cela concerne uniquement la vente de l’EF2000 ou est ce que l’export du Meteor est aussi proposé?

  13. Bof, c’est une technique de négociation comme une autre. Ce n’est pas interdit de faire jouer la concurrence pour atteindre ses fins. Pourquoi s’en priveraient-ils ?

    Merci pour cet article qui a le mérite de montrer certains dessous du marché des avions de combat.

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