C’est le premier véritable échec de l’avion américain de 5e génération sur le marché international et cela n’est pas du fait de l’avionneur lui-même. Ce lundi 22 mai 2023 l’administration Biden a fait savoir par voie diplomatique qu’elle refusait la vente de Lockheed-Martin F-35A Lightning II à la Royal Thai Air Force. Bangkok paye ici auprès de Washington DC sa trop grande proximité avec Pékin mais aussi sa non condamnation de l’invasion russe de l’Ukraine. Une décision qui pourrait faire les affaires des avionneurs chinois, même si le constructeur suédois Saab reste en embuscade.
Depuis l’éviction de la Turquie du programme JSF par Donald Trump et la confirmation de celle-ci par Joe Biden jamais le F-35 Lightning II n’avait connu un tel revers sur le marché de l’export. Pour autant les dirigeants de Lockheed-Martin ne se faisaient pas beaucoup d’illusions sur ce contrat d’abord annoncé à douze exemplaires puis ramené quelques mois plus tard à seulement sept. Cela commençait à sérieusement ressembler à une peau de chagrin.
L’US Department of Defense, après consultation du Congrès et de l’US Department of State, a donc décidé d’apposer son véto à cette vente.
La Royal Thai Air Force est ici la victime collatérale de la politique diplomatique thaïlandaise et de la volonté de Bangkok de s’équiper massivement depuis une trentaine d’années de matériels chinois. Un paradoxe quand on sait que ce sont les Royal Thai Army et Royal Thai Navy qui achètent ainsi à la super puissance asiatique et non elle qui demeure fidèle aux avionneurs et hélicoptéristes américains et européens. On savait que la décision d’acheter des chars lourds VT-4, des lance-roquettes multiples PHL-11 et WS-2, des blindés de transport d’infanterie Types 08 et Types 85, des blindés de dégagement Type 84, mais aussi un sous-marin d’attaque Type S26T, un bâtiment de guerre amphibie Type 071, six frégates Type 053/053H, et un pétrolier ravitailleur Type 908 aurait tôt ou tard des répercussions sur les relations bilatérales avec les États-Unis. La Thaïlande est désormais fixée. Elle n’est plus considérée comme un alliée de l’Amérique.
Car c’est bien sous ce jargon que l’administration Biden entend depuis le début de son mandat qualifier les pays à qui elle accorde le droit d’acheter son chasseur furtif. En fait, et assez logiquement, le Pentagone craint qu’un éventuel Lockheed-Martin F-35A Lightning II thaïlandais ne se retrouve tôt ou tard entre les mains d’ingénieurs chinois voire même russes. Ce qui serait une catastrophe pour l’avionneur américain autant que pour la politique de défense des États-Unis.
Reste que la Royal Thai Air Force va devoir désormais se trouver un avion de combat récent à acquérir. On parle toujours de sept à douze exemplaires. Si Dassault Aviation et le consortium Eurofighter semblent totalement hors de portée avec respectivement leurs Rafale F4 et Typhoon Tranche 4 il n’en est pas de même des constructeurs chinois et suédois. Saab pourrait proposer son JAS 39E/F Gripen en complément des JAS 39C/D déjà en dotation en Thaïlande tandis que Chengdu et Shenyang affûtent leurs arguments. Le premier avait déjà proposé en 2021 son J-10 tandis que le second cherche toujours un premier contrat international pour son tout nouveau J-31. Ce dernier est d’ailleurs régulièrement présenté comme le concurrent chinois du F-35 américain. De son côté la RTAF ne semble pas intéressée par le JF-17 sino-pakistanais qu’elle a déjà par le passé qualifié de trop rustique pour elle.
Quoiqu’il en soit la décision américaine de fermer la porte de la Thaïlande au F-35A Lightning II pourrait bien refroidir les ardeurs à celles et ceux qui se rapprocheraient trop de Moscou ou de Pékin ou bien qui ne condamneraient pas clairement les agissements russes en Ukraine. Le chasseur américain de 5e génération se mérite, c’est là l’enseignement de ce véto. Reste à savoir si cela ne va pas un peu plus jeter la Thaïlande dans les bras de la Chine ? Nous le saurons sans doute assez rapidement.
Photo © US Air Force.
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3 Responses
Le message de l’administration US est clair, et, à mon sens, comme vous le décrivez, guère surprenant.
Le risque d’un revirement d’alliance en défaveur des États-Unis était réel avec ce pays.
Le facteur politique est en cela indissociable à l’actualité dans l’aviation (au regret sincère ou feint de plusieurs commentateurs régulièrement sur ce site)
En terme de conjecture, cet épisode rend un peu plus crédible l’hypothèse de la sortie à long terme de la Turquie du programme B61.
Dans ce cas, les F16 turcs ont déjà essuyé un refus de modernisation au standard V, et lorsqu’ils seront obsolètes, sans la vente consentie d’aéronefs américains (F35 ou même plus improbablement F15 ou F18), ils pourront être déclarés inaptes (motif technique) à leur embarquement, alors que la motivation officieuse comme on le sait sera bien politique.
Mais la force d’une alliance repose en grande partie sur la fiabilité des alliés (autre problème existant dans l’OTAN avec la Hongrie: je me suis toujours posé la question du cas d’un scramble alpha de la Baltic Air Policing incluant des appareils hongrois, avec une « manoeuvre inamicale » en vol des russes au cours de l’intervention… et la réaction médiatique de Viktor Orban??)
Désolé pour le HS, mais cet article permet de rebondir pour donner une consistance aux notions d’alliance et d’alliés, et la confiance mutuelle qui s’en dégage en terme de contrats de défense 🙂 (et les US ont bien raison d’étudier cela le plus en amont possible)
Salut,
Je suis en désaccords avec cette phrase : « La Royal Thai Air Force est ici la victime collatérale de la politique diplomatique thaïlandaise […] »
La politique thaïlandaise, c’est la politique choisie par l’armée. Suite au dernier coup d’état militaire mené en 2014 par le commandant en chef de l’armée (et actuel premier ministre), une nouvelle constitution est instaurée qui entre-autre change le système des élections.
Si les Thaïlandais ont toujours la possibilité de voter, le système est fait pour maintenir la junte militaire au pouvoir en soutenant les partis qui la soutienne (en particulier le parti du premier ministre) :
-Les militaires choisissent 10 grands électeurs
-Ceux-ci choisissent les membres du sénat
-ceux-ci élisent 250 membres de la chambre législative, la population en élit 500
Ce qui veut dire que lors des élections, les pro-juntes n’ont besoin de gagner que 126 sièges pour rester au pouvoir, contre 376 pour l’opposition.
Lors des dernières élections législatives ce moi-ci, l’opposition a obtenue plus de 25 millions de votes, contre seulement un peu plus de 7 millions pour les pro-militaires qui restent au pouvoir.
Tout ça pour dire que les militaires thaïlandais ne sont pas victimes de la politique diplomatique thaïlandaise, car ce sont eux qui la font.
P.S.: Je profite de ce premier commentaire pour vous féliciter pour ce site que je ne suis que depuis septembre, mais depuis je n’ai raté aucun article malgré les trolls. J’ai hâte de voir la nouvelle version !
Excellente nouvelle pour Saab est tout autres constructeurs qui voudrons retentez leurs chance dans un nouvelle appel d’offre