On a cru un temps que c’est l’Allemagne qui allait faire un coup de Jarnac à l’Espagne et à la France. Finalement on a appris ce jeudi 9 novembre 2023 que c’est la Suède qui a choisi de sortir du consortium euro-japonais GCAP, ex Team Tempest. Stockholm veut se donner le temps de bien appréhender tous les facteurs visant au futur remplacement du Saab JAS 39 Gripen. Et cela pourrait même passer par rejoindre le programme SCAF.
En fait la communication de Stockholm est bancale. Depuis plusieurs semaines il était notoire que les dirigeants suédois se demandaient quelle place aurait l’avionneur Saab entre BAE Systems, Leonardo, et Mitsubishi au sein de ce titan industriel qu’est le Global Combat Air Programme. Dans le même temps le forcing de l’Arabie Saoudite pour essayer de le rejoindre est loin de faire l’unanimité auprès d’une opinion publique suédoise particulièrement critique vis-à-vis de ce royaume du Golfe et de sa vision très personnelle des droits humains et des droits civiques. Dans le même temps le calendrier prévisionnel de retrait du service du chasseur de génération 4.5 actuellement en dotation au sein de la Flygvapnet, le JAS 39 Gripen, donne un peu d’air aux experts scandinaves.
En effet les plus anciens des Gripen, les JAS 39 C/D doivent quitter le service actif entre 2035 et 2040 tandis que les JAS 39 E/F resteront en dotation jusqu’à l’horizon 2055-2060. Oui je sais ça paraît loin. Mais justement c’est cet écart de 15 à 25 années entre les fins de carrière des deux versions du chasseur monoréacteur suédois qui donne à Stockholm le temps suffisant pour réfléchir à l’avenir.
Pays aux citoyens pragmatiques par nature la Suède était un partenaire logique du Royaume-Uni au sein de feue la Team Tempest. BAE Systems et Saab ont d’ailleurs depuis les années 1990 tisser des relations fortes et fructueuses dans le domaine des industries de défense. Cependant bien plus que l’Italie c’est l’arrivée du Japon dans l’équation qui a rebattu les cartes. Pour autant le dit pragmatisme n’interdira sans doute pas aux Suédois de postuler à un éventuel retour au sein du GCAP à l’horizon fin 2031. C’est en effet à cette échéance de huit ans que la Suède rendra sa copie et dira quel programme elle choisit de rejoindre, si tenté qu’elle veuille en rejoindre un. Il se dit qu’elle pourrait aussi faire le choix, illogique pour l’avenir de Saab comme avionneur, de ne pas en intégrer et d’acheter un futur système de combat comme n’importe quel pays.
Au second semestre 2031 la Suède pourrait aussi faire le choix de rejoindre le SCAF, soit comme partenaire industriel majeur au même titre que l’Allemagne, l’Espagne, et la France soit comme partenaire de second plan comme en a décidé la Belgique l’an dernier. Dans la première des possibilités il faudrait qu’Airbus DS et Dassault Aviation fassent une place à Saab et acceptent donc de rogner sur leurs parts industrielles dans le programme. Un cauchemar en devenir en fait. L’idée d’une option suédoise au sein du programme européen SCAF n’est pas si idiote que ça quand on sait que le mardi 31 octobre 2023 le major général Jonas Wikman était à Paris afin de rencontrer les autorités de l’Armée de l’Air et de l’Espace. Le chef d’état-major de la Flygvapnet a pu s’entretenir avec le général de division aérienne Stéphane Groën, actuel numéro 2 du Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes. Si cette visite s’inscrit clairement dans la candidature de la Suède à intégrer l’OTAN on ne peut s’empêcher de se dire que l’officier supérieur suédois est forcément venu tâter le terrain avec ses collègues français. La coïncidence à dix jours d’écart est bien trop grosse, comme la ficelle.
La candidature suédoise à l’entrée dans l’alliance Atlantique ouvre une autre voie, une troisième, aux autorités locales : ni GCAP ni SCAF ! Bien sûr Saab n’est actuellement pas en mesure de se lancer seule dans l’étude et le développement d’un très onéreux chasseur de 6e génération mais la Suède a une autre carte dans sa manche. Et celle-ci passe par un accord avec un avionneur américain autour du futur NGAD, le Next Generation Air Dominance. À ce jour d’ailleurs Boeing coopère étroitement avec Saab autour du programme T-X et de son T-7 Red Hawk dont l’entrée en service est prévu dans quelques mois maintenant. Le NGAD étant prévu pour une entrée en service au sein de l’US Air Force au milieu de la décennie prochaine une éventuelle version export pour la Flygvapnet et d’autres clients prendrait deux à trois ans de plus, ce qui nous amène à l’approche de l’an 2040. Pile poil le bon moment pour la Suède.
Enfin il y a une option qui est sur toutes les lèvres à Stockholm depuis quelque mois, depuis justement que la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine souveraine a poussé la Suède à rompre avec sa neutralité et à rejoindre l’OTAN. Il s’agit de l’achat d’un chasseur intérimaire permettant de faire le lien entre les deux générations (4.5 et 6 donc) sans qu’un gap trop important ne vienne complexifier la future transformation opérationnelle des instructeurs et des pilotes de chasse. Vous le sentez venir le Lockheed-Martin F-35A Lightning II vous ? Car moi oui. Il s’agirait ni plus ni moins que de la même manœuvre réalisée par l’Allemagne et qui a fait dire à certaines mauvaises langue qu’elle allait quitter le SCAF. Au lieu de cela le chasseur américain de 5e génération fera le lien, au sein de la Luftwaffe entre l’avion d’Eurofighter et celui de l’alliance Airbus DS / Dassault Aviation. Ce qu’il pourrait donc totalement faire dans les rangs de la Flygvapnet.
Donc entre maintenant et fin 2025 la Suède entre dans la phase 1 de sa réflexion sur l’après Saab JAS 39 Gripen. Elle doit conceptualiser ce futur. Puis de début 2026 à fin 2030 ce sera la phase 2 dite de développement et d’éventuelle intégration industrielle. Enfin la phase 3 sera la plus courte, dans l’année 2031, quand les décideurs institutionnels et politiques suédois devront trancher et annoncer leur choix. Sera t-il le même que celui des industriels ? Ou bien celui des militaires ? Ou bien là encore prendront t-ils une voie différente ?
En fait plus on y réfléchit et plus on se dit que Stockholm en rejoignant l’ex Team Tempest il y a quatre ans et demi avait mis la charrue avant les bœufs. L’emballage cadeau de BAE Systems et de Leonardo était joli et la Suède s’est laissée avoir sans même avoir pris le temps de conceptualiser quoi que ce soit. Ajoutez à cela une situation géopolitique totalement bouleversée par la violence des actes du dictateur russe et vous comprendrez le rétropédalage des Suédois sur ce GCAP qui actuellement ne leur plait plus mais pourrait de nouveau les séduire dans quelques années. Sera t-il alors trop tard ?
Affaire à suivre.
Illustration © BAE Systems
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2 Responses
A mon humble avis, la Suède pourrait également se positionner sur un drone de combat. Dans ce contexte, un rapprochement avec Dassault Aviation permettrait de reprendre la collaboration initiée lors du projet NEURON.
Il y a une option intéressante : voir qui fabrique les meilleurs organes pour pouvoir implémenter les technologies. Le Gripen devra encore évoluer pour atteindre 2060.
Et le moteur et une partie de l’avionique sont d’origine étrangère… Donc revenir sur des technologies non US, et donc ITAR free peut représenter un bonus pour l’exportation.