Si le Canada n’optait pas pour le F-35 ?

Bien des analystes (professionnels et amateurs) prédisent que le Canada choisira le Lockheed-Martin F-35 Lightning II pour remplacer ses vénérables CF-188 Hornet. Après tout, le Canada est l’un des pays partenaires du programme JSF (Joint Strike Fighter) dès ses débuts en 1997. Rappelons toutefois que la décision de devenir partenaire fut avant tout basée sur des considérations économiques. Cela a permis à l’industrie aéronautique canadienne d’avoir un accès privilégié aux contrats découlant de ce programme. Aussi, les pays partenaires bénéficient d’un rabais lors de l’acquisition d’appareils F-35.

La furtivité d’un avion de combat est un atout indéniable lorsque vient le temps de pénétrer un territoire ennemi pour anéantir ses moyens de défense anti-aérienne. Dans le passé, les CF-188 canadiens ont participé a diverses missions de bombardement dans le cadre de coalitions internationales. Toutefois, la mission première des avions de combat de l’Aviation royale canadienne (ARC) est la défense de la souveraineté de l’espace aérien domestique ainsi que celui de ses alliés du NORAD et de l’OTAN. Avant tout conçu comme chasseur-bombardier de première frappe, le F-35 n’excelle pas comme intercepteur. Les coûts élevés d’achat et d’opération du F-35, biens qu’en baisse constante, constituent un autre handicap de cet avion de cinquième génération qui connaît encore bien des pépins de mise au point.

La «furtivité radar passive» de ces coûteux avions est par ailleurs sérieusement menacée par de récentes avancées technologiques. Une nouvelle génération de systèmes de détection exploitant les ondes courtes infrarouges (SWIR pour Short Wave Infra Red), permet une résolution et une portée qui surpasse bon nombre de radars aéroportés. Cette technologie permet notamment d’utiliser l’humidité de l’air et la surface des océans pour les transformer en écran noir sur le fond duquel les objets secs apparaissent clairement et ce à plus de 150 km de distance. Autre atout, cette technologie dite passive est indétectable par l’ennemi et donc invulnérable aux dispositifs de contre-mesures électroniques. Une autre technologie en devenir, est l’exploitation du phénomène d’illumination naturel baptisé «Night Glow» qui se produit dans la haute atmosphère. La furtivité passive qui est le principal attrait du F-35 serait donc déjà en voie de devenir obsolète.

La avions de combat dits de génération 4+ misent plutôt sur la «furtivité radar active», grâce à leur avionique qui agit pour induire les radars ennemis en erreur. Ainsi les technologies de brouillage, de suppression active et de leurrage sont en constante évolution. Des mises à niveau durant le cycle de vie d’un avion de combat permettent de bénéficier des derniers développements en la matière. Le Boeing EA-18 Growler est sans doute l’exemple le plus connu de ce type d’avion, mais ces technologies peuvent aussi être intégrées à des degrés divers dans la plupart des avions de combat de facture moderne. De plus, la «furtivité radar tactique» grâce aux vols à basse altitude permet d’échapper aux ondes radar en se dissimulant avec le relief terrestre. Encore là, l’évolution technologique des systèmes de suivi terrain permettent au pilote d’évoluer à grande vitesse au plus près du sol.

Pour ces raisons, les stratèges du Pentagone ont décidé de ne pas mettre tous leurs œufs dans le panier du F-35. Ainsi des avions de combat américains que l’on croyait destinés à la retraite pour faire place au JSF font un retour en force pour palier aux carences du F-35, notamment à l’égard de la capacité d’emport de munitions. Ainsi l’USAF compte sur l’avion de combat Boeing F-15EX, une nouvelle mouture du légendaire F-15 Strike Eagle. Du côté de l’US Navy, plusieurs de ses Boeing F/A-18E/F Super Hornet actuellement en service seront graduellement modernisés au standard Block III. La chaîne de montage des Super Hornet est dorénavant uniquement consacrée aux appareils Block III pour répondre à la commande de 78 nouveaux appareils par l’US Navy. Il n’y a pas que les États-Unis qui doutent de la polyvalence du F-35. L’Australie conserve également sa flotte d’appareils Super Hornet, malgré l’acquisition de 72 F-35. Plus récemment, l’Allemagne a boudé le F-35 au profit de nouveaux appareils Eurofighter Typhoon, Boeing EA-18 Growler et Super Hornet.

Donc, contrairement aux idées reçues, le F-35 ne remportera pas nécessairement le concours qui déterminera le nouvel avion du combat du Canada. Malheureusement, Dassault Aviation a retiré le Rafale de la compétition dès le début en 2018. En août 2019 c’était au tour d’Airbus Defense & Space, qui proposait l’Eurofighter Typhoon, de jeter la serviette. Tous deux prétextaient que les coûts d’intégration des exigences d’interopérabilité du NORAD et du «Five Eyes», ainsi que la pleine compatibilité avec les munitions de facture américaine, étaient trop élevées. Cela n’a toutefois pas empêché Saab de demeurer dans la course avec son JAS 39 E/F Gripen. Pour les non-initiés, rappelons que le «Five Eyes» est une alliance de collecte et de partage de renseignements regroupant cinq pays: Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni. Pour le Canada, il ne reste donc que deux alternatives au F-35 Lightning, soit le Saab JAS 39 E/F Gripen et le Boeing Super Hornet Block III.

Saab 39 E/F Gripen

Commençons avec le négligé de cette course où la tortue pourrait coiffer le lièvre au fil d’arrivée. Surnommé «Tueur de Sukhoi» le Saab JAS 39 Gripen a été conçu dès le départ pour faire face à ces redoutables avions de combat et aux batteries russes de missiles anti-aériens. Tout comme en Suède, la principale menace pour l’espace aérien du Canada vient du côté de la Russie. Ce n’est pas l’avion de combat doté du plus grand rayon d’action, ni le plus rapide, ni celui capable d’emporter la plus lourde charge de munitions, mais c’est celui qui est doté du meilleur système de furtivité active. Lors d’exercices, il a déjà ridiculisé des Eurofighter Typhoon allemands en se faufilant tout près sans être détecté. Cette démonstration fut réalisée avec la version 39C/D Gripen, alors que la nouvelle version 39E/F est encore plus évoluée. Saab fait d’ailleurs ressortir l’avantage de la flexibilité de l’avionique du Gripen conçue pour des mises à jour fréquentes de ses logiciels. Saab rappelle que le Gripen est parfaitement adapté pour faire face au rude climat du Grand Nord dû à la similitude géographique de la Suède et du Canada. Enfin, Saab offre au Canada de maximiser les retombées économiques en y assemblant les appareils et en favorisant le transfert technologique. Beaucoup moins coûteux à l’achat et à l’entretien que le F-35, le JAS 39 E/F Gripen partage un défaut commun: celui d’être un mono-réacteur. Dans un pays entouré par les eaux glaciales du Pacifique Nord, de l’Atlantique Nord et de la Mer Arctique, cela signifie une mort presque assurée pour un pilote qui subit une avarie de moteur. Bien que les réacteurs soient aujourd’hui plus fiables, cela constitue une préoccupation légitime.

Super Hornet Block III

Autre adversaire du F-35 au Canada, Boeing fait la promotion de son Super Hornet Block III comme un avion économique ayant fait ses preuves au combat. Il laisse entendre que c’est une solution moins risquée que la boîte à surprises des F-35 souvent cloués au sol pour de longues et coûteuses réparations. C’est aussi un biréacteur doté d’un long rayon d’action, particulièrement avec ses nouveaux réservoirs intégrés dans la structure de l’avion qui augmente de 20% son autonomie. Un atout qui est indéniable dans un pays aussi vaste que le Canada. Alors que la fin de la production du Super Hornet était envisagée il n’y a pas si longtemps, la décision de l’US Navy d’acquérir de nouveaux appareils Block III, ainsi que de moderniser plusieurs de ses Super Hornet au même niveau, assure la pérennité de cet avion de combat pour les décennies à venir. Boeing lorgne également d’autres marchés d’exportation, notamment la Finlande, la Suisse et l’Inde. Tout comme Saab, Boeing souligne les coûts moindres d’achat et d’opération du Super Hornet face au F-35. Boeing souligne également la facilité de transition du CF-188 vers le Super Hornet, réduisant ainsi les délais et coûts d’adaptation des personnels et installations de l’ARC. Advenant que le Canada souhaite se doter d’avions de guerre électronique, le Boeing EA-18 Growler permettrait une flotte homogène. Enfin, Boeing promet d’investir au Canada au moins 100% de la valeur du contrat où l’entreprise a déjà des installations et un solide réseau de sous-contractants. Seul ombre au tableau pour Boeing : sa très mauvaise réputation au Canada depuis son attaque en règle contre le programme du C-Series de Bombardier qui a permis à Airbus de mettre la main sur ce fleuron de l’industrie aéronautique canadienne. En représailles, le Canada qui envisageait l’acquisition de 18 Super Hornet comme mesure de transition pour soutenir la flotte vieillissante de CF-188, a plutôt opté pour un lot de F-18 australiens. Depuis cette déconfiture, Boeing tente de redorer son image au Canada à grand renfort de publicités.

L’attribution de ce lucratif contrat est prévue en 2022, pour une livraison s’étalant entre 2025 et 2032. En réponse à la demande de Saab et Boeing, le dépôt des soumissions prévu le 30 juin 2020 est toutefois reporté d’un mois en raison de la pandémie actuelle. Les coûts d’achat et d’opération du successeur du CF-188, de même que les retombées économiques au Canada seront certainement des facteurs déterminants en prévision des incontournables compressions budgétaires post-COVID. À ces égards, Lockheed-Martin est à la traîne face à ses compétiteurs. Entretemps, les CF-188 continueront leur carrière de bons vieux soldats du ciel.

CF-188 Hornet

 


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Marcel
Fils d’un aviateur militaire (il est tombé dedans quand il était petit…) et biologiste qui adore voler en avion de brousse, ce rédacteur du Québec apprécie partager sa passion de l'aéronautique avec la fraternité francophone d’Avions Légendaires.
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Commentaires

13 Responses

  1. aller, sans me mouiller je met une pièce sur le super hornet block 3 c’est le mieux pour le canada je pense

  2. Très intéressante votre analyse concernant la furtivité du F-35 ! Super le JAS Gripen, économique , puissant et moderne et ….européen (son moteur est américain tout de même.). Perso je penche pour le Super Hornet, la RCAF y est déjà préparée par l’usage opérationnel du Hornet, bi-moteur, et … 100% de retombées économiques. Ajoutons qu’il faut sauver le soldat Boeing de ses déconfitures.civiles. Trump n’y trouvera rien à redire. (voir l’exemple Allemand)

  3. Étant donné que le Canada va devoir très bientôt remplacer ses Airbus CC-150 Polaris je verrais bien Boeing proposer un double ticket : Super Hornet et Pegasus. C’est très à la mode cette manière de faire depuis quelques années, les Suédois l’ont fait récemment avec leur Gripen et l’AWACS GlobalEye.
    Donc oui perso je pense que nos amis canadiens opteront plutôt pour le F/A-18E/F Super Hornet face au F-35A Lightning II.
    À mon sens le Gripen suédois n’est là que pour éviter qu’on puisse dire que le programme se joue entre Nord-Américains.

  4. F18block3 qui sera gagnant…raisons des couts, connaissance appareil et sa fiabilité et une bonne raison de se reconcilier avec boing si bon rabais ,)

  5. Premièrement, aujourd’hui, les principaux acteurs « antifurtivité » sont les radars en bande basse qui existent depuis longtemps. On peut considérer que ce sont des moyens de détections passif étant donné que les capteurs de guerre électronique des avions de combats ne couvrent pas ces bandes de fréquences (ils couvrent principalement les gammes de fréquences où se situent les conduite de tir des système d’arme) et donc ne peuvent pas les détecter.
    Deuxième point, non la furtivité active par suppression n’existe pas ! Ce n’est technologiquement pas possible aujourd’hui (ni demain d’ailleurs). Les sytème GE embarqués ne font que du brouillage classique (plus ou moins bien) mais il n’est pas question de suppression de l’énergie radar réfléchie. Même si cela existe pour améliorer le confort accoustique de certains avions turbopropulsés, on est à des années lumières pour une telle application au radar. Il exsite bien cette légende urbaine comme quoi le système SPECTRA à cette capacité mais c’est totalement faux.

  6. En France on dit « jeter l’éponge » 🙂 Personnellement le Gripen je n’y crois pas du tout, il fait ici juste acte de présence. Je pense aussi que le gagnant sera le Super Hornet. Et pourquoi pas une participation au programme SCAF avec entre-temps des Super-Hornet de seconde main (s’ils existent) en attendant d’acquérir des SCAF d’ici 2045. C’est juste une hypothèse.

  7. Ce n’est pas possible, Arnaud a mangé son chapeau et son F35 avec !J’y ai cru un court instant, mais j’ai dû me résoudre à l’évidence lorsque j’ai vu le joli minois de notre canadien en fin d’article, article qui plus est plein de bon sens. Évidemment si Marcel n’en avait pas été l’auteur, ce dernier aurait sans doute été traité différemment par notre inquisiteur préféré…!!!
    Cordialement,

    1. Attention, Regitelafar, vous allez être soumis à la Question !! Excellent article de Marcel, dont le ton posé change radicalement avec ce dont on a l’habitude de lire. ( signé Olive, enseignant en langue de bois )

    2. @ regitelafar, le jour où vous nous ferez des articles de qualité comme le font Arnaud ou Marcel, vous pourrez faire une critique aussi facile et ridicule que celle que vous venez de faire.
      Et même si on défend un appareil, on peut en reconnaitre les faiblesses.

      1. Mon cher Thomas,,
        Si vous êtes un lecteur d’AL, assidu comme je le suis depuis des années quotidiennement, et même plusieurs fois par jour, vous seriez alors avec un peu de perspicacité que j’ai rarement critiqué les articles de la rédaction, ( c’est encore le cas ici, « article plein de bon sens » dis-ai je – et pourtant …,! ) mais uniquement le fait qu’en dehors de la ligne rédactionnelle, point de salut ! Ce que notre lecteur Olivier 15 suggère par ailleurs….
        Enfin, si j’ai bien compris, seuls Arnaud et Marcel, puisqu’ils sont les seuls à pondre des articles de qualités sur ce site, sont à même de faire des critiques « faciles » et « ridicules « ….! Je comprends mieux maintenant certaines réponses….! C’est bien cela Thomas ?
        Pour clore le débat, quand je ne connais pas les compétences de mes interlocuteurs, notamment dans le domaine aéronautique, je ne permets pas de les juger, car des compétences et des qualités rédactionnelles en milieu aéronautique, il y en a sur ce site, et des 2 côtés, rédacteurs et lecteurs….!
        Bonne soirée mon cher Thomas,

  8. Et si l’appareil le mieux adapté pour les Canadien était le F-15 Silent Eagle ?? Le pays est très vaste, et a surtout besoin d’un bon intercepteur pour faire la police aérienne …

    1. Le constructeur du F-15 n’a pas jugé bon de soumettre son appareil dans le cadre de l’appel de propositions.

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